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ENQUETES/Enquête express / Pôle Pénitentiaire d'Abidjan (PPA) : le business bat son plein au sein de la prison d’Abidjan

Des gardes pénitentiaires sur le banc des accusés Le Pôle Pénitentiaire d'Abidjan (PPA), autrefois connu sous le nom de Maison d'Arrêt et de Correction d'Abidjan (MACA), représente la plus grande institution carcérale de Côte d'Ivoire. Située dans la capitale économique ivoirienne, entre la commune de Yopougon et le Parc national du Banco à l’Est d’Abidjan, elle a été érigée en 1980 sur une superficie de 12 hectares et héberge aujourd’hui plus de 5000 détenus. Mais, ces détenus sont devenus, pour leurs proches, de véritables fonds de commerce. Comment ? La réponse dans cette enquête.

Des révélations sur la complicité des gardes pénitenciers

 

Au sein du Pôle Pénitentiaire d'Abidjan (PPA), certaines familles et individus ont transformé leur infortune de prison en une opportunité économique. En ce lieu de détention, des parents de détenus s'adonnent à un commerce illicite, en collusion avec des gardes pénitenciers. 

 

Cette pratique, de plus en plus répandue au PPA, constitue une violation flagrante de la loi. Lors d'une visite à la zone industrielle de Yopougon, aux abords de la plus grande prison du pays, nous avons été témoins d'un flot incessant de femmes qui se dirigent vers l'entrée principale de l'établissement. 

 

Chacune arborait un colis comme si elle se rendait à un marché. Intrigués, nous avons décidé de nous fondre parmi ces groupes de femmes pour mieux comprendre la situation. Interrogée en aparté, une dame nous révèle qu'il s'agissait des parents et amis des détenus qui venaient leur apporter des provisions.

 

Nous avons alors décidé de nous faire passer pour un parent de détenu désireux d'envoyer des articles à son proche, mais qu’on ignore les formalités à remplir pour y être autorisé. Une femme du nom de Sali, une habituée des lieux, décide de nous aider et de nous ajouter à sa liste de visiteurs. 

 

Bien connue des gardes pénitenciers, notre présence dans sa délégation, le jour de la visite, n’a posé aucun problème. Elle, pour sa part, sans se poser trop de questions, nous a fait confiance et nous a même expliqué les raisons de sa présence régulière au PPA. 

 

« Je suis venue avec ma mère pour fournir des marchandises à des prisonniers qui les revendent pour nous et nous envoient l'argent tous les deux jours. », dévoile-t-elle. Surpris d’une telle révélation, qui selon elle est un business carcéral très juteux, nous cherchons à comprendre comment le contact se crée avec les détenus. 

 

Sans gêne véritable, elle nous explique : « Pour commercer avec un détenu, vous devez connaître son nom et la date de son incarcération. C'est avec ces informations que vous pouvez obtenir un billet de visite au Plateau pendant les jours de visite. Mais, pour faire entrer les articles, nous avons besoin de l'aide des gardes, sinon c'est interdit. »

 

Après avoir observé une autre dame en pleine discussion discrète avec l'un des gardes, nous nous sommes approchés d'elle, faisant semblant de la reconnaître comme commerçante pour la bonne qualité de ses articles. À la question de savoir ce qu’elle faisait au PPA, elle nous confie ceci : « Cela fait plus de deux ans que j'envoie toutes sortes de marchandises à mes deux enfants et à d'autres détenus qui me sollicitent. » 

 

Curieux de savoir si cette pratique commerciale en prison n’était pas assez risquée, vu toutes les restrictions dans cet espace carcéral, elle ne cache pas de lever un coin de voile sur cette routine pour elle. « Après les avoir vendues, ils me transfèrent l'argent. Chaque semaine, je peux réaliser un bénéfice de plus de 100 000 FCFA », déclare-t-elle. 

 

Avant de nous confier ce secret, nous lui avons fait croire que nous aussi voulions envoyer des marchandises à un parent incarcéré. Immédiatement, elle s'est proposée pour nous aider. Elle nous a même assuré qu'elle pouvait faire entrer notre colis sans billet de visite, à condition que nous lui fournissions seulement le nom du détenu et la date de son arrivée.

 

De plus, avec certitude elle a déclaré être en mesure de nous mettre en contact avec un garde pénitencier chaque fois que nous devrions livrer un colis important à un proche détenu ou à un prisonnier contact. Elle devient ainsi notre deuxième contact en plus de Sali qui nous a permis d’y entrer. 

 

La prison comme centre de commerce 

 

À Abobo, par exemple, une femme commerçante que nous avons l’habitude de fréquenter, se réjouit depuis l'incarcération de son fils. Selon elle, « à quelque chose malheur est bon », car cela représente, pour elle, une nouvelle source économique. Grâce à ce dernier, elle parvient à écouler très rapidement ses marchandises. Ce qui donne un nouveau souffle à son commerce. Toutefois, elle ne manque pas de se plaindre des chantages de pourboires que leur font leurs passeurs fantômes parmi les gardes pénitenciers. 

 

Aujourd'hui, sans se voiler la face, en dehors du Pôle Pénitentiaire d'Abidjan (PPA), la plupart des prisons ivoiriennes sont devenues de véritables centres de commerce, facilités par des gardes pénitenciers avides de gains faciles. 

 

Cette situation risque de favoriser davantage d'évasions, comme cela s'est déjà produit avec des dealers de drogues qui ont réussi à corrompre des régisseurs et des gardes. Cependant, il est important de rappeler que malgré ces pratiques, une prison demeure une prison, inappropriée pour ces pratiques illégales, avec ses contrôles et la présence de criminels endurcis.

                                                                                                      Oumy D.