- Ecrit par : TRAORE ABOU
- 02/06/2024 18:26
POLITIQUE/Contribution/Politique ivoirienne : Voici le portrait-robot de l’opposant ivoirien !
L’opposition ivoirienne serait-elle en perte de vitesse dans un pays où le peuple est livré aux hommes du pouvoir d’Etat, pieds et mains joints ? Comme cet orphelin à qui l’on laisse tomber des miettes pour sa pitance, le peuple subit de plein fouet le diktat du pouvoir d’Etat.
Le chef décide ce qui est bon pour ce peuple rendu misérable par des politiques de paupérisation à grande échelle. Pendant ce temps, l’opposition censée lui voler au secours est perdue dans des diatribes. Tantôt boycotter les élections, tantôt s’opposer à la CEI. A cette allure, l’on a l’impression que l’opposition ne s’intéresse qu’au pouvoir et non aux préoccupations essentielles du peuple.
Pour l’heure, nous avons en face une opposition de fait, une opposition qui refuse d’aller au charbon pour le bonheur du peuple. Une opposition traversée par une divergence de vue oubliant l’essentiel. Pis, elle s’accoquine très souvent à des débats de clochers au lieu de traiter des débats de fonds qui touchent le quotidien des populations. A part Mamadou Koulibaly et Affi N’guessan qui animent par intermittence des conférences de presse pour exprimer le désarroi du peuple, il y a que de la figuration. Les plus courageux ont rejoint la mangeoire pour assurer. Point ! A l’évidence, l’on se rend compte qu’il n’y a pas d’opposition vraie, cette opposition d’expertise, capable d’aborder les sujets d’actualité qui touchent le quotidien des populations.
En effet, une opposition d’expertise est constituée d’experts maîtrisant parfaitement des domaines de compétence bien précis ; il s’agit d’hommes et de femmes disposant de connaissances approfondies et une solide expérience en la matière. Ce sont des spécialistes reconnus qui réalisent des études et des constatations pour la bonne marche d’un Etat. Cette opposition d’expertise vise à réduire le champ grandissant de confiscation de la souveraineté du peuple par des acteurs politiques qui se sont retrouvés au pouvoir dans le cadre du jeu de l’alternance politique. Cette opposition a recours à des experts, soumis à une tension entre conviction et éthique de la responsabilité, pour mobiliser l’état des connaissances et formuler des recommandations. Cette opposition d’expertise permet d’éclairer la réflexion sur les déterminations scientifiques et politiques. Plus qu’un contre-pouvoir pour la rationalisation de l’action publique, cette forme d’opposition apparaît comme un médiateur du débat social. Pour une question de bonne gouvernance, il est proposé une solution rationnelle possible. Mais que constate-on ? Le peuple fait face à un certain nombre d’immobilisme politique. Des cas flagrant d’abus constatés çà et là, et cela n’inquiète pas l’opposition. Or, cette opposition aspire gouverner un jour ce peuple qui souffre le martyr.
Que fait l’opposition ?
Que fait l’opposition face à la mévente des produits des planteurs, à la problématique de la vie chère ? cherté des factures d’électricité ? etc. Autant de sujets de préoccupation qu’une opposition d’expertise doit adresser sans se faire prier. Malheureusement, nous sommes face à une opposition qui a cédé la place au fatalisme. Un silence de cimetière aussi glacial que le temps de neige a enveloppé les muscles orbiculaires de nos leaders de l’opposition. Des cerveaux politiques autrefois alertes sont devenus muets.
Depuis l’éclatement de l’union des Houphouétistes, cette opposition à l’ivoirienne s’est agrandie avec l’adhésion massive de certaines formations politiques, et non des moindres. Quelle belle composante pourrait-on dire ! Mais les actes au quotidien démontrent que l’on a vite fait de pousser un ouf de soulagement. Loin des aspirations fondées en cette nouvelle opposition pompeusement baptisée Plateforme de l’opposition, il n’y a qu’illusion. En lieu et place de vrais solutions aux problèmes réels auxquels sont confrontés les populations, l’on assiste à une opposition accoudée à une affaire de contrôle de la Commission électorale indépendante (CEI). Certes, la Commission électorale indépendante mérite l’attention de tous, notamment de l’opposition qui voit d’un mauvais œil l’impartialité flagrante dans laquelle baigne cette institution, parce que c’est l’organe centrale qui organise les élections. Il y a donc lieu de veiller à son indépendance avec à sa tête une personnalité neutre et non marquée politiquement. Mieux, réclamer une vraie partialité de cette institution est légitime à tout point de vue. Mais vouloir en faire un projet de société au détriment des difficultés qui gangrènent la vie et le quotidien des populations.
Et une opposition d’expertise devrait faire des propositions allant dans le sens d’un vrai diagnostic ; des critiques constructives, des analyses conséquentes avec des propositions idoines, le tout dans une démarche et un style républicain. Malheureusement, l’écosystème clair-obscur dans lequel baigne cette opposition inquiète. Il y a ce sentiment d’abandon des vrais sujets pour des questions secondaires. Pis, lorsqu’elle n’est pas dans un tel schéma, elle est dans une dynamique de boycott tous azimuts, comparable à une spirale de « piège sans fin », une expression si chère à l’écrivain béninois, Olympe Bhêly-Quenum.
Depuis une époque peu lointaine, cette opposition est inscrite dans une logique de boycottage tous azimuts. A son actif plusieurs forfaits : la présidentielle de 2015, les législatives de 2016, le référendum constitutionnel de 2018, la révision du listing électoral, les régionales et municipales de 2018. Autant de trophées à son actif, pourrait-on dire sans se tromper. Bravo pour la cohérence dans l’action, même si cela n’est pas rationnel. Mais une inquiétude demeure, la position du pouvoir d’Abidjan n’a varié, même pas d’un iota. Au contraire il se frotte les mains et continue de dérouler son programme de gouvernement avec l’appui de la communauté internationale, même si cela va à l’encontre des aspirations du peuple. Le peuple est-il devenu si naïf ? A la vérité c’est de ça qu’il s’agit. Et ce n’est pas Louis DUMUR qui dira le contraire, lui qui affirme que « la politique est l’art de se servir des hommes en leur faisant croire qu’on les sert ».
De la nécessité d’un nouveau logiciel humain
A l’analyse, les points soulevés par l’opposition ne souffrent d’aucune contestation, notamment le point relatif à la CEI qui cristallise toute l’attention. Il est de notoriété que cette Commission électorale indépendante (CEI) au centre des controverses électorales doit être renouvelée avec un nouveau logiciel humain. Certes, elle a eu l’assentiment de tous les acteurs politiques en 2010, mais depuis lors, de l’eau a coulé sous les ponts, il y a donc lieu de faire appel à l’intelligence d’autres Ivoiriens pour leur neutralité. En toute honnêteté, renouveler la CEI répond à un principe de bonne gouvernance et l’exiger ici et maintenant, avec des hommes liges et neutres, n’est pas une demande de trop. Egalement, procéder à un découpage électoral à l’échelle nationale, suivant des objectifs consensuels dont l’opposition se fait l’écho à longueur de journée est légitime.
A côté de ces exigences, des réglages sécuritaires et politiques doivent s’opérer pour une élection crédible, équitable et consensuelle. Des revendications aussi légitimes. Mais en attendant un début de résolution de ces recommandations, doit-on jeter aux oubliettes les autres sujets d’ordre existentiel pour le peuple, et se braquer contre le jeu politique ?
Non, car le bon sens est contraire à une telle attitude. Malheureusement, c’est la voie que certains politiciens en mal de publicité ont décidé d’emprunter, et avec eux, des individus qui refusent de réfléchir par eux-mêmes. Cette posture inquiète et appelle à une réflexion profonde. Soit, c’est une opposition factice qui se complait dans la posture actuelle et veut s’y éterniser, soit c’est une opposition vuvuzela qui a pour mandat d’accompagner le pouvoir d’Abidjan sur le long terme ? Cette dualité négative dans l’action fragilise davantage l’écosystème de l’opposition politique.
Au regard des éléments évoqués ci-dessus, l’on s’accorde sur le fait qu’il y a matière à réflexion. Cependant, faire de la question de la CEI, le sujet central, et exiger ici et maintenant la satisfaction de toutes ces revendications, c’est abandonner le peuple qui aspire à un mieux-être-social ; la politique économique inclusive doit être une réalité, et cela sous le regard bienveillant de l’opposition. Toute autre voie autre que celle qui contribue au bonheur des populations renvoie à une aventure suicidaire. Egalement, refuser de prendre part au débat politique en y apportant des analyses constructives et réalistes, prédispose ses auteurs au temps des regrets, car lorsque viendra le temps où la sagesse aura à visiter les acteurs d’en face, il sera trop tard. Un célèbre homme politique disait qu’il faut être avec eux - c’est-à-dire dans le système - pour discuter de vos préoccupations ou des questions de l’heure ; et à force de débattre, vous finirez par vous accorder sur certains points. Et c’est à cette allure que les problèmes politiques se règlent. Que les esprits fertiles entendent !
Quelle que soit la nature du régime, l’opposition est toujours dans une logique de défiance, en s’opposant à tout ce qu’elle considère comme contraire aux principes de la bonne gouvernance. Par exemple, elle doit dénoncer l’augmentation abusive du prix du carburant à la pompe ; dénoncer des majorations démesurées et arbitraires de l’annexe fiscale parce qu’elle aura une incidence sur le coût de la vie ; dénoncer la mévente des produits des planteurs ; etc. S’abstenir face à ces abus sociaux et bander ses muscles lorsqu’il s’agit d’élection en brandissant le spectre du boycott c’est faire preuve d’une opposition factice et peu logique, voire fantôme ou fantoche.
L’on doit se demander s’il y a lieu de conjuguer au présent ses actions avec une opposition qui agit par à coup. Le peuple n’est pas si naïf qu’on le croirait.
Bernard MANIZAN